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Mémoires d'une jeune-fille mariée

23 janvier 2006

l'oubli

Janvier s'étire. Je sombre de l'autre côté. Loin de toi.

Le changement.

Tu es tombé brutalement dans mon passé. J'ai oublié le grain de peau, les lignes du visage, les yeux humides de novembre.

Effritement de ma mémoire de toi.

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20 janvier 2006

pour quoi faire tout ça?

Bon.

Après les trémolos, les explications. On l'aura compris je suis divorcée. Di-vo-rcée. Un mot qu'on pronce comme déracinement, déraillement, diversion. Autant de préfixes qui condamnent d'avance ce qui suit.

L'originalité c'est que je ne suis pas une victime du démon de midi, je n'ai pas 45 ans. Ce serait plutôt celui du matin.

J'essaie maladroitement de me justifier là: sans prétendre être un cas isolé...je veux simplement raconter ce quotidien banal: celui de la séparation. Pas de sentiments. Des scènes. Et quelques images d'une vie de "jeune" mariée, interrompue.

20 janvier 2006

Culpabilité

Et maintenant.

J'ai rêvé que ma belle-mère était malade. Allongée, blanche et rongée par la mort, ses enfants tour à tour s'allongeaient sur elle. Et moi aussi, entre malaise et culpabilité.

Je ne me défais pas du sentiment de ma faute. Vis à vis de toute cette famille. Avoir quitté son fils, son mari, ses enfants, ses petits enfants, son père. J'ai cassé le lien doux, immuable de la filiation. Je me suis écartée de cette lignée bourgeoise et fière, j'ai rompu la confiance du clan. On m'a fait pénétré dans les salons aux lourds draperies de soies, dorures sur bois, photos vieillies, meubles ridés, héritages du passé fiers et paresseux. Et j'ai trahi.

J'aurais voulu les aimer, porter le nom, porter l'enfant. M'unir à la race de ceux qui vivent de rites et de symboles.

Je n'ai pas pu. Comme si je n'avais pas assez de place, ni de cœur, ni de sang finalement pour tolérer cette forme aliénante de l'existence. Endosser la vêture et le corps d'une autre, celle d'un ventre qui prolonge un nom et une histoire. Marcher dans les pas, vivre sur les lieux souillés par d'autres. Etre l'instrument de la continuité. Le visage sur lequel glisse la suite des jours, de naissances en morts.

Je m'éveille avec l'impression d'être en cavale. D'avoir laissé les "miens" et tué mes dix dernières années avec insouciance.

18 janvier 2006

Séparée

Je l'ai quitté. Un soir de septembre.

"Alors?"

"Alors, je vais partir"

Il a baissé les yeux , courbé la tête. Déchu.

La parole fait acte. J'ai regardé son visage, tranchant et mat. Baisé les joues que je ne reconnais pas, qui ne sont plus miennes. Le goût de la mort sur sa bouche.

J'aurais aimé que tu cries. Rien pas un son. Sanglots, hoquets violents. Je ne veux pas te regarder.

Je n'ai pas de larmes. J'empile machinalement des vêtements dans mon sac, je pars. Comme on part en voyage. Que prendre avec soi quand on quitte l'amour?

Je me répète que je n'ai pas d'émotion. Rien. J'attends l'ébranlement du cœur, le sursaut de la gorge au ventre qui déforme la bouche et fait venir les larmes. T'entendre gémir, chagrin si lourd, à quelques pas de moi ne produit rien. Ni fleurs ni couronnes.

"Tu ne veux pas réessayer…Non?"

Le silence entre nous s'étire. La petite musique du malheur emplit la pièce. Il y a un art du départ . Je ne sais pas encore te dire que je cherche à secouer les oripeaux du quotidien, chasser la poussière des jours.  C'est encore contre la mort qui ronge nos visages, la perte de ce que nous fûmes, le tressaillement disparu que je lutte.

On a pas le droit de ne plus s'aimer.

Je n'aurais pas pensé que ça puisse disparaître. Le tressaillement du ventre, les yeux, la bouche tendues de désirs. Je te regarde et ton image se décompose lentement. L'oubli gagne, aveugle. J'ai encore les sanglots dans l'oreille, toi qui ne savait pas pleurer. Hoquets de petit poucet perdu.

Il faut revenir au début. Il y en a toujours un. La peau mate. L'arrogance. Pas grand chose, un grain de peau, l'odeur un peu âcre du tabac et de l'alcool. L'air que tu épaissis de ta présence. La marque de ton corps sur le lit conjugal. Lit conjugal. Adjectif mortifère: après lui, lit d'hôpital, ou lit de mort. On a le choix.

Il faudrait que je décompose les années. Raconter l'ivresse amicale, factice mais chaude.

Chercher le souvenir de ce que j'étais alors, une jeune fille effacée, terrorisée par ce désamour dont tu m'offrais d'habiles manifestations.

Je suis étendue sur un lit. La campagne, le silence autour. Tu dors. Pâleur lunaire sur ton épaule. Tu t'es assoupi sur mon bras. Je ne bouge pas, je ne respire pas. Je reste les yeux fixement ouverts. Ne pas te réveiller.

Je suis souvent réveillée avant toi. J'attends. Je goûte à l'avance le plaisir de ton réveil, les doigts sur mon ventre. J'attends. Je suis cette attente, tendue vers l'aube. Ma pensée ne s'égare pas. Immobilité de l'esprit, suspendu à chacun de tes mouvements. Tu bouges. J'espère. Mais rien. Grognement et le dos noir et charnu à nouveau que je n'ose pas toucher. J'attends longtemps souvent. Jusqu'à  midi. Sans parvenir à me défaire de l'angoisse mêlée de désir qui me tient vivante.

Tu te réveilles. L'extase annoncé fait battre les tempes, tourner les sangs. Mais le dos noir se lève s'habille et me laisse. Sans égards pour le lent processus du désir féminin, pour les secondes passées à détailler la peau, la finesse des poignets, la cadence du souffle. Orfèvre malheureuse et malheur silencieux.

Aujourd'hui tu pleures. Je ne savais pas que tu m'aimais.

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